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Brouillons pour une constitution

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De quel peuple suis-je ?


Question étrange à priori, car en général on ne se la pose pas à soi-même mais aux autres ? En fait on ne dira pas à quelqu’un de « quel peuple es-tu ? » mais « d’où es-tu ? ». L’origine géographique prime dans le sens commun, mais il s’agit plutôt d’origine culturelle et cette culture est souvent prééminente à la culture héritée des déplacements. Notre lieu de naissance culturelle, qui est totalement hors de notre volonté devient un objet de reconnaissance, et paradoxalement souvent un sujet de fierté alors que nous n’y sommes pour rien !

Observons néanmoins cette notion d’origine : Sa dénomination change en fonction de l’interlocuteur, face à une personne de ma ville, je répondrais par un quartier, face un français je répondrais par une région, face à un européen, je ne répondrais pas mon pays, face à un asiatique je répondrais peut-être par « européen », et si par hasard je rencontrais un extra-terrestre je répondrais par ma planète ! Mais est ce parce que cette étiquette identitaire est subie et non voulue, que beaucoup complètent souvent leur appartenance par l’ajout d’un peuple ou une région d’adoption, une valeur acquise plus affective et volontaire parfois moyen d’émancipation?

Peut-on en déduire de cette dimension relative de la notion de peuple dépends de l’interlocuteur auquel on s’adresse ? Si oui alors dans le langage politique la notion de peuple doit dépendre du sujet concerné. Pour un problème citadin tel qu’un plan d’occupation des sols, on distinguera des populations propres à chaque quartier. Si c’est un problème mondial, tel qu’un problème monétaire, la notion de peuples sera liés à la monnaie qu’ils utilisent, s’il s’agit d’un problème de religion, de blocs d’influences politiques, de coutumes, a chaque fois une dimension nouvelle de peuple est mise en jeu.

Or l’idée de peuple mélange souvent l’idée de nation beaucoup plus issue des résultats de rapports de forces, de dominations, où la cupidité et la violence ont gommé les affinités culturelles, et laissé des rancœurs tenaces. Le langage politique aime utiliser cette confusion entre peuple et nation pour mieux valider ses discours.

Bizarrement les peuples représentent un grand nombre de personnes qui nous sont extérieures, car définir « mon peuple » parait impossible s’il n’est pas défini par rapport à un autre peuple et cela dépend du sujet en cours. Cet étiquetage de peuple est subjectif et variable suivant l’objet du propos.

Finalement un peuple est une différentiation construite par l’objet de la discussion en cours, il n’a pas d’autre définition univoque acceptable.

Pourquoi avoir besoin d’utiliser ce découpage en peuples ?

Pour se sentir exister chaque individualité est partagée entre deux exigences contradictoires :

Entre « faire partie de » c'est-à-dire s’identifier à un ensemble de valeurs et « être différente de » donc s’identifier par une spécificité particulière, chacun d’entre nous se trouve obligé de jouer sur cette contradiction.

Même au sein du groupe dont on se revendique, chacun se doit de marquer sa différence, chaque soldat se cherchera son signe à lui, courage, tire-au flanc, rigolo, chef, réveur, ces rôles sont souvent attribués par le groupe lui-même qui à un moment donné regarde l’individu concerné sous un certain angle, et l’individu aura inconsciemment le besoin de répondre à ce regard pour mieux exister par cette différence face aux autres, en se comportant de la façon attendue par le groupe.

Parfois l’individu refuse se rôle et se révolte face au groupe en cherchant à s’inventer le rôle de son choix pour s’imposer tel que son ego le souhaite. Tout dépend si pour lui la priorité actuelle est la survie du groupe lui-même qui peut conduire l’individu à des actes d’héroïsme d’ailleurs, ou si sa priorité est sa propre existence ce qui peut même aller jusqu’à la scission du groupe si deux personnes veulent à tout prix jouer le même rôle (leader ou autre).

Si la notion de peuple est utilisée dans une recherche sur la démocratie, il devient donc important de prendre en compte cette notion comme liée strictement à l’objet du débat et donc tenir compte du type de différentiation engendrée par cet objet. Il est important pour l’homogénéité d’un peuple d’induire la priorité du bien collectif sur le bien individuel, sans priver chaque sous-groupe ou individu de la spécificité de son rôle proposé et valorisé par le groupe dont il fait partie.

Un droit à la différence dans mon peuple par l’affirmation d’un rôle, et un droit à la reconnaissance par une identité de valeur par rapport aux autres groupes.

A mon avis, faire l’impasse sur la conscience des difficultés de cet équilibre, ne peut se traduire que par des échecs pour des actions qui se contenteraient de vouloir le bien des peuples en toute naïveté humaniste.

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Page envoyé par Horst Gruetzke

En prenant l’exemple de l’Allemagne Habermas réfléchit sur le rôle de la démocratie, du peuple, de la nation et de l’Europe


Jürgen Habermas, qui a débuté sa carrière dans le giron de l’École de Francfort, auprès de Theodor W. Adorno et de Max Horkheimer, se revendique d’une filiation avec la pensée d’Emmanuel Kant, prolongeant son éthique exigeant pour faire face à la violence et à l’injustice. Or sa pensée s’est mesurée aux grands défis de l’Allemagne post-nazie. En se demandant sur quoi fonder l’identité collective dans un pays marqué par les atrocités de l’Holocauste, divisé entre RFA et RDA, Habermas a discuté la pertinence d’un patriotisme dit « constitutionnel ». L’idée élaborée pour la première fois dans les années 1970 par le philosophe Dolf Sternberger, consistait à imaginer une fidélité à un ordre politique immunisée contre le risque nationaliste. Au-delà d’un attachement civique aux valeurs inscrites dans la Loi fondamentale (Constitution), Habermas entend scinder démocratie et appartenance à la nation. « Le lien créé entre ethnos et demos n’était qu’en passage. Mais du point de vue conceptuel, la citoyenneté était toujours déjà indépendante de l’identité nationale. » Être attaché la démocratie, aux libertés qu’elle offre, aux mécanismes de délibération des lois qu’elle met en œuvre : voilà l’horizon dans lequel devraient se projeter des individus, au lieu de s’attacher à un sol, à un drapeau, à des coutumes, à un pathos identitaire qui ne font que les enfoncer dans le particularisme et encouragent la haine de l’autre. Habermas pense que les citoyens peuvent avoir envie d’appartenir à une communauté politique, en tant que celle-ci est fondée sur des principes universels contenus dans une constitution démocratique. Le patriotisme constitutionnel, lié au contexte politique allemand de l’après-guerre, se propose en outre de résoudre deux grands défis de notre temps : d’abord, l’intégration des minorités – puisqu’il suffit que les membres de ces minorités partagent l’éthique de la démocratie pour intégrer de plein droit la communauté ; puis la construction européenne. Habermas défend donc cette construction mentale étrange, le patriotisme post-national : nous autres Européens pouvons être attachés à des institutions et à des droits nouveau, comme la Cour européenne de justice, la monnaie unique ou la liberté de circulation sur l’ensemble du continent, sans être pour autant nationalistes. C’est une situation neuve, que les dirigeants politiques actuels risquent de gâcher en renouant, face à la crise, avec de vieux reflexes d’égoïsme et de populisme électoral.

Nous avons été nombreux alors à espérer que se constituerait non pas un peuple européen, mais une opinion publique, un espace politique transeuropéen qui ne serait pas seulement animé par les dirigeants et les intellectuels, mais par le plus grand nombre. De façon conflictuel et laborieuse, l’idée d’Europe indiquait un chemin au-delà des souverainetés nationales, bien différentes aux souverainetés de peuples vivant dans une communauté ethnie bien limitée. La souveraineté nationale par contre encadre plus d’un peuple ou d’une entité ethnique. La nation a été toujours le résultat de la domination d’un peuples sur un autre ou sur d’autres. – Trouver par l’Europe un chemin au-delà des souverainetés nationales – c’était là notre utopie, aujourd’hui dévalorisée par le retour au nationalisme.

Page écrite le 24-10-2010

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